Ticiano Mouazan a remporté une Médaille d’Excellence lors de la finale mondiale des Worldskills. Une gageure dont il peut être fier tant la barre, cette année, était haute. Retour avec lui et son coach, Davy Rezeau, sur ces deux années d’aventure.
Il était, de l’aveu même des organisateurs, très difficile. Le sujet de l’épreuve finale de la compétition des Worldskills n’a pas déçu les 22 candidats internationaux venus se disputer la victoire du 10 au 15 septembre derniers dans la Cité des Gones. Le candidat tricolore avait intensifié son entraînement depuis les finales nationales, également organisées à Lyon en septembre dernier pour mettre toutes les chances de son côté. « Je m’entraîne sur mon temps libre tous les soirs jusqu’à 21 h 30, en parallèle de mon travail professionnel, et à raison d’une fois par mois dans un centre d’excellence. J’effectue aussi des Speed modules les week-ends depuis un an », nous racontait-il après sa victoire nationale. Cet habitué des concours, déjà détenteur de trois médailles d’or dont le titre de l’un des Meilleurs Apprentis de France, a démarré l’aventure des Worldskills en janvier 2023. Depuis, son quotidien ne tournait plus qu’autour de cette compétition entre bonne hygiène de vie, entraînement personnel et semaines de préparation coachées. Il a aussi participé à la semaine de préparation physique et mentale qui s’est déroulée dans les Alpes avec toute l’équipe de France des métiers. Une mise en jambes avant la dernière ligne droite de ces deux ans de préparation.
La promotion d’un savoir-faire
L’enjeu de cette compétition consiste à valoriser les métiers de l’artisanat en promouvant la formation professionnelle et des compétences techniques et manuelles des jeunes. Les finalistes ont en ce sens été sollicités dans le cadre de l’initiative One school One country. Ils ont rendu visite à des classes de troisième de collèges lyonnais pour présenter leur métier. « Nous leur avons expliqué en quoi consiste notre savoir-faire et avons échangé avec les élèves. Nous avons ensuite mangé avec eux. L’enjeu était de les sensibiliser à notre profession et leur montrer qu’on peut réussir dans le carrelage. Et pourquoi pas susciter des vocations ! », relate Ticiano Mouazan. L’ensemble des compétiteurs, une vingtaine pour les carreleurs, ont aussi visité la ville le premier jour par groupe de catégorie de métier. « Ce premier contact permet de voir à qui l’on a affaire en face de soi. Mais cela m’a aussi appris qu’il ne faut pas se fier aux apparences et qu’il ne faut jamais se laisser déstabiliser par les autres compétiteurs », souligne, amusé, le candidat français.
Une compétition exigeante
Alors que la sélection s’est intensifiée pour participer à cette compétition, celle-ci n’a pas failli à sa prestigieuse réputation. Les candidats se levaient à 5 heures du matin et démarraient par un réveil musculaire durant toute la semaine, excepté le dimanche. « On s’est aussi couchés tard notamment pour débriefer avec le coach », raconte l’intéressé. L’épreuve s’est déroulée sur quatre jours pour un total de 22 heures de compétition. « Le temps a été divisé en trois fois 6 heures puis 4 heures », détaille Davy Rezeau. Les candidats disposaient d’une journée avant pour préparer les supports, s’installer et prendre en main leur matériel. Si l’ensemble du matériel était fourni, ils avaient le droit d’apporter trois outils personnels.
Une épreuve corsée
L’épreuve de cette édition a surpris tout le monde par sa complexité. Compétiteurs et coachs ont dû faire preuve d’une grande adaptation afin d’éviter certains écueils stratégiques. D’autant qu’aucune piste n’avait été donnée aux candidats. Les carreleurs devaient réaliser une grande salle d’eau incluant le montage de murs en béton cellulaire. Ils devaient réaliser une niche à droite ainsi qu’une douche à l’italienne et un banc en mosaïque au fond de celle-ci. Une pose en chevron était aussi demandée pour la réalisation du sol. Ils devaient par ailleurs confectionner une vasque carrelée en 10 x 10 cm, également construite en béton cellulaire. Au bas de la faïence, les jeunes carreleurs devaient effectuer une pose en losange pour obtenir un effet 3D. « Le sujet était particulièrement costaud parce qu’il était très complet et comprenait beaucoup de découpes et de matériaux différents. Et malheureusement pour notre compétiteur, cela lui a fait perdre du temps au démarrage, souligne le coach. J’ai dû le secouer et le recadrer un peu le deuxième jour. » « J’ai perdu une heure dès le premier à jour à cause d’une succession de petites bêtises que j’ai dû rattraper par la suite. Le concours s’avère très épuisant mentalement et fatigant », explique le compétiteur.
Des conditions difficiles
Plusieurs points ont mis les candidats en difficulté. À commencer par l’interdiction de la calculatrice ! « Nous avons reçu les plans cotés le matin même de l’épreuve, raconte Ticiano. Nous n’avons donc pas pu échanger avec le coach. Nous devions tout calculer de tête ce qui a surpris tout le monde. Pour ma part, cela m’a fait perdre du temps pour la niche. » « Calculer les épaisseurs de carreaux et déduire les hauteurs sans calculatrice était très pénalisant et ça a joué des tours à tous les candidats », appuie pour sa part le coach. Seuls cinq d’entre eux ont réussi à terminer le sujet sur les 22 sélectionnés pour cette finale mondiale. « Résultat, le sujet était tellement complexe que les candidats n’ont pas pu montrer des choses très abouties. Si c’était incroyable de réaliser cela en seulement 22 heures, c’était, à mon sens, un peu trop poussé tout de même. Très peu ont réellement terminé le sujet ce qui est regrettable dans la mesure où cela n’a pas donné une très bonne image de notre métier qui est précisément un métier de finitions », détaille le coach. « Personnellement, j’ai nécessairement dû lésiner sur la qualité pour terminer dans les temps, abonde le candidat. Toutefois, j’ai gagné du temps grâce à ma stratégie de pose : j’ai commencé par carreler le bas de la faïence pour ne pas avoir à découper parfaitement tous les carreaux du bas. J’ai gagné du temps là et ça a été payant. Plusieurs ont aussi opté pour cette stratégie. »
Des résultats concluants
Notre candidat tricolore a décroché une Médaille d’Excellence. « Il faut au moins 700 points sur 800 pour la décrocher, raconte-t-il. On ne peut pas être parfait ! Ce qui fait la différence, c’est indéniablement le mental. Mes premières boulettes m’ont entamé le moral. Mais j’ai réussi à reprendre le dessus et à rebondir. Il ne faut jamais se laisser abattre. Le plus difficile ensuite, c’est de bien gérer son temps. Savoir s’organiser dans le stress de la compétition et sous la pression s’avère primordial. L’épreuve est tellement difficile, qu’il faut être très efficace. » Le Danois et l’Autrichien ont remporté l’épreuve, suivis du Chinois, de l’Allemand, du Brésilien et du Français. « L’enjeu pour nous, coach, c’est de les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes tout au long de la compétition, réussir à rester positif surtout pour les stimuler en ce sens et qu’ils restent focus sur la compétition. Ce n’est jamais simple. Mais nous sommes fiers de ce que Ticiano a accompli, assure le référent métier. Il a eu de bonnes notes notamment sur la propreté et la finition. Plus la compétition avançait, plus ça devenait difficile. Les dernières heures ont été assez tendues. Mais il est allé au bout. Il a tout donné ! Il s’est vraiment dépassé. Il a eu la bonne attitude et a bien représenté son pays. Il a aussi pris conscience qu’il était encore jeune et qu’il a encore beaucoup de choses à apprendre. Il s’est rendu compte de ce qu’il faut pour devenir champion du monde. Il a aussi beaucoup gagné en maturité durant ces deux années. Il a été confronté à des jeunes expérimentés. Ce qui l’a beaucoup fait grandir. On aurait pu faire le choix stratégique de ne pas terminer l’épreuve pour gagner des points ailleurs. Mais nous n’avons pas choisi cette option et c’est sans regret. Il est allé au bout du sujet dans des conditions très difficiles. Le sujet était le plus compliqué qu’on n’ait connu. L’enjeu était vraiment d’aller au bout sans se poser 1 000 questions. Ce qu’on veut retenir, c’est la fierté de nos candidats. S’il a le sourire à la fin des 22 heures d’épreuve, alors on a tout gagné ! »
Une expérience fabuleuse
Cette 48e édition affiche l’objectif de fédérer de nombreux jeunes autour de l’excellence. Pour ce faire, elle mise sur des critères de notation poussés. Planéité, aplombs, équerrages, prises de cote, découpes, alignement des joints… Chaque détail compte et est analysé par le jury. En d’autres termes, tout doit être parfait ! Ces critères et le barème de notation n’étaient pas non plus dévoilés cette année avant l’épreuve. Un degré d’exigence qui fait considérablement progresser les candidats et leur fait gagner confiance en eux. « En deux ans de concours, j’ai gagné cinq ans d’expérience, souligne le jeune carreleur. Cette compétition de haut niveau accélère incroyablement notre progression d’un point de vue professionnel. » Si le candidat goûte un peu au repos après ces deux années d’intense préparation, il s’est de nouveau illustré en novembre lors de sa participation à la finale du « Sika World Best Tiler » à Shanghai en décrochant une médaille de bronze par équipe. Pour la suite, j’envisage de m’installer à mon compte même si pour l’instant je suis encore salarié. J’espère que cette médaille me permettra de me positionner sur des chantiers de haut niveau pilotés par des architectes. J’aimerais que cette notoriété et cette reconnaissance de mon savoir-faire me permettent de cibler davantage cette clientèle. J’imagine que ce sera le cas et que ce point compte pour gagner leur confiance. Et pourquoi pas participer un jour au MOF ! » À suivre donc !